Brest: avec des jeunes migrants

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Voyage dans le réseau : au TO de Brest avec un groupe de jeunes migrants. 16 avril 2019

Une journée de répétition puis un théâtre forum à Brest, par JF Martel

Peu après la rencontre du réseau TO en Bretagne, je reçois de brigitte :  : « Notre restitution (j’ose pas encore dire forum) sera le 16 avril… Et on te veut ! »
Je suis évidemment partant,si bien que Brigitte Millet (TO de Brest) et Héléna (Le Reuz) m’attendent ce 15 avril au soir, à la gare terminus de Brest, et m’emmènent d’abord manger dans un restaurant « typique ». Puis je m’installe chez Brigitte. Le lendemain, nous partons tôt et devons prendre du monde et du matériel en route. Brigitte téléphone à l’un (dans un foyer) puis à un autre, manifestement détendue, et son calme m’épate ! Car malgré l’expérience accumulée, je reste pour ma part anxieux quand il faut aller chercher quelqu’un, puis un ordinateur, et lancer des appels au téléphone avant de commencer, sans être sûr de qui sera là !… Juste « invité » j’en profite pour faire quelques photos d’un bras de mer.

La séance d’atelier :

Les voilà « tous » ! Ils sont 7. (l’incertitude pesait pour un ou deux, et un absent est revenu…) Bref, ils sont souriants et avides de faire des jeux et des impros. Nous sommes dans une grande salle, d’un Centre Social de la périphérie de Brest. A côté, des bénévoles de l’ADJIM (accompagnement de jeunes isolés migrants) nous prépare un repas collectif. C’est dans le cadre de cette association que Brigitte accueille et loge parfois chez elle, accompagne à la préfecture, et a proposé une séance hebdomadaire de « jeux » et… cet atelier théâtre forum.

Le groupe : Ils sont tous des garçons, ils apportent les histoires, et jouent tous les rôles. J’ai d’ailleurs trouvé les personnages féminins remarquablement joués par ces garçons. (pas si facile !).
Brigitte et Héléna sont secondées par Adèle, plus jeune. Comme toujours dans le groupe de Brest, elles aussi sont totalement « bénévoles ». Trois femmes, donc, françaises, avec 7 jeunes garçons d’Afrique noire (notamment de Guinée).
Les jeux:

D’abord un jeu d’intégration, mené par Adèle, pour rigoler un peu : s’asseoir de deux façons différentes sur une chaise. Les chaises sont un peu partout dans la salle, tout le monde circule, l’animatrice raconte une histoire et au mot « chat » on doit s’asseoir rapidement d’une façon, au mot « brouette » d’une autre façon. Nombreuses variantes possibles : parfois des consignes qui se succèdent en rythme, avec comme but de trouver un rythme collectif, parfois de s’entraîner à l’écoute rapide et au réflexe : avec deux mots proches l’un de l’autre « chameau et chapeau » par exemple, parfois en privilégiant la créativité des postures. La vitesse joue son rôle aussi, car si on prend le temps, sans enjeu de vitesse, au bout d’un moment ça ronronne. On peut aussi mettre une chaise de moins que le nombre de personnes, et celui qui reste debout donnera la prochaine consigne. On peut aussi devoir s’asseoir différemment… de tous les autres ! Sous peine de devoir se relever.

On peut aussi choisir N postures bien différentes, et soit les numéroter, soit leur donner des noms qui commencent tous par CHA.

Je découvre ensuite un jeu d’improvisation proposé par Brigitte : « allons au bar ».

Tous s’assoient en ligne face à la scène, ils sont dans un bar, et regardent la rue. Qui le veut passe alors le long du bord de scène, comme sur un trottoir, croise ou rencontre quelqu’un, etc… J’imagine des variantes possibles : ajouter les réactions des clients du bar, certains se connaissent -ils ? Les passants sont-ils silencieux, séparés par une vitrine ? Ou sont-ils à portée d’oreille ?

On rit beaucoup, ils prennent plaisir à « se montrer » sur ce trottoir, avec des salutations exubérantes ou des incidents.

On voit les trois images centrales des trois scènes.

Et je me pose la question de la place de l’apporteur d’histoire dans chacune.

Ils sont concernés par les scènes, c’est évident, mais comment le sont-ils? De toute évidence, dans les deux premières histoires, leur propre personnage n’est pas sur scène.

Scène sur la violence conjugale. Ils l’ont sûrement vue, cette épouse opprimée, vendeuse sur un marché, malmenée par son mari parce qu’elle a dit bonjour à un ami, un homme avec qui elle échange une bise et des confidences. (Mais.ils ne sont pas eux-mêmes des femmes adultes opprimées).
La violence sur l’enfant de 13 ans: Est-ce un souvenir ? Etant donné leur âge, 13 ans, ce n’est pas loin pour eux… Une fille (or, ce sont tous des garçons) est « corrigée » à la ceinture par sa mère pour être sortie en soirée. Comme enfant, on ne peut compter que sur une intervention extérieure (d’où leur personnage de voisin adulte qui frappe à la porte, et qu’on peut remplacer).

Ils espèrent jouer de nouveau, et ça s’éclaircira si c’est une souvenir. On saura peut-être qui était dans l’entourage et n’a rien fait, et qui a fait quelque chose ! Cela permettra de savoir qui parle dans l’histoire, et surtout quelle est la place de celui qui apporte l’histoire.

Dans ces deux scènes, les jokères ont privilégié les images fixes, qui s’animent quand il y a intervention sur scène, et les gars ont bien « tenu » leurs images. Mais il me semble (ce n’est qu’une idée) que le groupe pourrait jouer ce qui se passe avant et après cette image, sans beaucoup plus de travail, ce qui permettrait au public de mieux connaître les personnages.

Scène sur l’intolérance religieuse. Celle-ci m’a particulièrement intéressé. On sentait que celui qui apportait l’histoire l’avait lui-même vécue, et tous semblaient très concernés.

« Au pays » deux copains, sortent d’une église (ils sont de familles musulmanes semble-t-il) ? L’un s’était laissé emmener par l’autre à l’intérieur de l’église par curiosité. A la sortie, réprobation et menaces des copains qui l’ont vu. On a bien sûr envie de creuser les personnages, de comprendre quel est le lien entre les deux amis, et de voir ce qui se passe avant.

Préparation au forum : la construction des personnages:

Le travail de remplacement au cours de la longue séance de « forum constructif » que Brigitte a mené, a permis aux personnages -notamment celui de la mère violente (jouée par un des gars)- de prendre de la consistance. Face à une intervention sur scène au cours de ce travail, le personnage dévoilait bien les motivations de son geste: « ne pas laisser sa fille de 13 ans sortir seule tard le soir » et… sa peur d’être mal jugée si elle ne sait pas la « tenir »… La seule solution du personnage : la « corriger » en la frappant !L’acteur a su dévoiler ces motivations et les développer ensuite, pendant le forum. Nous, les spectateurs, on ne sait rien de cette gamine: on a envie de comprendre pourquoi sort-elle, et pour faire quoi ? Est-elle consciente du machisme ambiant et donc des risques ? Quels personnages rencontre-t-elle ? etc…

LE SPECTACLE

Le public : 15 personnes, presque toutes impliquées dans l’accueil des migrants. On se repose forcément les vieilles questions: que pouvons-nous faire, nous, européens intégrés, pour les aider ? Faire ce que fait déjà ce public : héberger, aider aux démarches, proposer des activités, des repas etc… Mais à propos du forum, on sait bien qu’on n’est pas à leur place, qu’on n’y sera pas, et que donner des conseils n’est pas souhaitable.
Brigitte souligne :« ces scènes peuvent avoir lieu « n’importe où » ! (et donc aussi à Brest)

Je trouve ça très juste, mais… les acteurs seraient-ils vraiment capables de jouer une mère brestoise qui règlemente la sortie en boîte de sa gamine, ou sa sortie chez les voisins de l’immeuble, le soir ? (souvent, avec « nos » ados, elle a un frère, qui lui, a plus de droits, et on aborde la question ainsi.)

Dans la scène de la violence conjugale sur le marché : cette fois c’est Adèle qui jouait la femme battue, (du groupe TO de Brest) et elle pouvait incarner une brestoise, de plus, elle vendait des trucs du genre brocante-bien-de-chez-nous. Mais pour transposer l’histoire en France, il faudrait comprendre pourquoi elle fait ça, économiquement, et quelles sont ses relations avec cet acheteur qui lui fait des bises et à qui elle se confie à propos de son mari ! Ce n’est pas un acheteur ordinaire. Bien sûr, les mêmes questions se posent si ça se passe en Guinée.

Remarquablement, personne dans la salle ne propose de remplacer les ados ! Les remplacements qui ont lieu sont sur les témoins : le voisin de la mère violente, le passant devant l’église, et bien sûr, à la place de la femme adulte victime ou de son ami. Le public explore surtout des hypothèses, en créant des personnages qu’on n’avait pas (ou peu) vus dans le modèle.

Aprés le forum, un des gars du groupe s’installe avec guitare et micro, et nous chante une chanson de son pays, magnifique ! Il est très applaudi. Je fais une petite vidéo en plus des photos !

Ce fut un plaisir ! Bon courage pour la suite, merci beaucoup de l’invitation et le séjour. Les nouvelles du groupe, les échos des autres représentations, sont les bienvenues, notamment sur le thème rarement abordé de « l’intolérance religieuse ».
JF Martel 06 85 54 99 68 texte relu par Brigitte).

Voir aussi dans « voyages dans le réseau » mon texte sur Voyage à Liège en juin 19, avec des compositions de groupe et d’animatrices comparables.

Contacter Brigitte et le TO de Brest : mibrigit@numericable.fr

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